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Secteur de la construction, gestion des déchets et économie circulaire

Publication: 25.10.2024 | Modifié: 25.10.24 | Auteur: Thibault Paquier

Les déchets dans le monde de la construction, où va-t-on?

En Suisse, le secteur de la construction est à l’origine de la majorité des déchets produits chaque année. Sur les 80 à 90 millions de tonnes de déchets générés annuellement dans le pays, près des deux tiers (environ 57 millions de tonnes) proviennent des matériaux d’excavation et de percement, tandis qu’un cinquième (environ 17 millions de tonnes) résulte de la démolition de bâtiments, de routes et de voies ferrées. Ces chiffres mettent en lumière l’ampleur de l’enjeu auquel est confrontée l’industrie de la construction en termes de gestion des ressources et de réduction de l’empreinte environnementale. Alors que la quantité totale de déchets continue probablement d’augmenter, la Suisse doit intensifier ses efforts pour intégrer les principes de l’économie circulaire dans ce secteur clé. Ce modèle, qui promeut la réutilisation, le recyclage et la réduction des ressources nécessaires à la construction, offre une voie prometteuse pour diminuer l’impact écologique et optimiser la gestion des matériaux dans un secteur essentiel à l’économie nationale.

La gestion des déchets dans la construction suisse : état des lieux

Le secteur de la construction est responsable de 62 millions de tonnes de déchets produits en Suisse (1), un chiffre impressionnant qui souligne l’importance de la gestion de ces matériaux pour atteindre les objectifs environnementaux du pays. Les déchets de construction comprennent les gravats, le béton, l’asphalte, le bois, les métaux et de nombreux autres matériaux issus de la démolition, des rénovations et des nouveaux projets de construction.

Le gouvernement suisse, conscient de cet enjeu, a mis en place des régulations strictes pour contrôler la production et l’élimination des déchets. L’Ordonnance sur la limitation et l’élimination des déchets (OLED), par exemple, impose aux entreprises du secteur de réduire les déchets générés, de séparer les matériaux recyclables et de favoriser la réutilisation des ressources (2). Bien que la Suisse ait réussi à recycler une grande partie de ces déchets, avec des taux avoisinant les 70 % pour les matériaux de déconstruction et 75 % pour les matériaux d’excavation, des défis importants subsistent. Plus de 5 millions de tonnes de matériaux sont encore éliminés par incinération ou stockés en décharge, ce qui souligne la nécessité d’améliorer encore la qualité du recyclage. Une des principales difficultés réside dans le traitement des matériaux contaminés par des substances dangereuses comme l’amiante ou les biphényles polychlorés (PCB), qui limitent leur potentiel de réutilisation (5).

Par conséquent, la Suisse doit encore relever plusieurs défis pour améliorer la gestion des déchets dans le secteur de la construction, notamment en augmentant la part des matériaux réutilisés sur place ou sur d’autres chantiers.

©Paquier Poulpe Production

Vers une gestion circulaire des bâtiments : déconstruction sélective et construction réversible

Dans un secteur aussi énergivore que celui de la construction, des solutions innovantes pour une utilisation plus responsable des ressources sont indispensables. La réduction des déchets passe par plusieurs stratégies : diminuer la production de matériaux, prolonger la durée de vie des composants, améliorer le tri en fin de vie, et surtout, maximiser la réutilisation des ressources investies dans les bâtiments. Cependant, deux approches, encore peu répandues en Suisse, offrent des perspectives prometteuses : la déconstruction sélective et la construction réversible (3).

La déconstruction sélective se distingue de la démolition classique par son approche méthodique. Plutôt que de détruire les bâtiments en mélangeant les matériaux, elle consiste à démonter chaque composant de manière à en préserver les propriétés. Cela permet de mieux orienter les matériaux en fin de vie vers des cycles appropriés, qu’il s’agisse du recyclage, de l’incinération ou, idéalement, du réemploi. En séparant soigneusement les éléments, comme les métaux, le béton ou le bois, cette méthode offre non seulement une solution plus durable, mais elle réduit également la consommation d’énergie liée à la production de nouveaux matériaux. De plus, elle ouvre la porte à des options moins polluantes, telles que la réparation et la réutilisation des composants directement sur site ou dans d’autres projets.

De son côté, la construction réversible s’inscrit dans une logique d’adaptabilité. L’idée est de concevoir des bâtiments capables d’évoluer au fil du temps, tant sur le plan spatial que technique. La réversibilité spatiale permet à un bâtiment de changer d’usage, s’adaptant aux besoins futurs sans nécessiter une reconstruction complète. Quant à la réversibilité technique, elle assure que les matériaux et les éléments structurels peuvent être démontés et réutilisés sans perte de qualité, prolongeant ainsi la vie des bâtiments et de leurs composants. Une telle approche, en favorisant des matériaux facilement démontables et réutilisables, s’inscrit dans une perspective de long terme, visant à limiter le gaspillage de ressources.

Ces deux pratiques, encore marginales en Suisse, sont pourtant des piliers essentiels de l’économie circulaire. En réconciliant construction et durabilité, elles permettent non seulement de réduire l’empreinte écologique du secteur, mais aussi de repenser les bâtiments comme des ressources réutilisables plutôt que comme des produits jetables. Une meilleure adoption de ces méthodes pourrait transformer la manière dont nous concevons et gérons nos infrastructures pour les générations futures.

Les défis à relever pour une économie circulaire complète dans la construction

Malgré les progrès réalisés, plusieurs obstacles freinent la pleine adoption des principes de l’économie circulaire dans le secteur de la construction suisse.

- Complexité des matériaux composites: la variété des matériaux utilisés dans les constructions modernes, en particulier les matériaux composites comme les isolations ou les revêtements, complique leur recyclage. Ces matériaux, souvent constitués de couches multiples ou de mélanges de substances, sont difficiles à séparer et à réutiliser. Nous avons écrit un article dessus mais l’utilisation de matériaux bas carbone, comme le bois pourrait également transformer le secteur. Ces matériaux recyclables répondent aux impératifs de durabilité et d’économie circulaire.

- Coût du réemploi et du recyclage: le réemploi des matériaux peut parfois se heurter à des considérations économiques. Le démontage sélectif et la préparation des matériaux pour leur réutilisation peuvent coûter plus cher que l’utilisation de nouveaux matériaux (4). Des incitations financières plus robustes et des politiques de soutien à la circularité, comme des subventions ou des taxes sur les matériaux neufs, pourraient aider à surmonter ces obstacles.

- Intégration des pratiques circulaires à grande échelle: bien que certaines entreprises pionnières en Suisse adoptent déjà des pratiques exemplaires en matière d’économie circulaire, l’intégration à grande échelle reste un défi. Le secteur de la construction en Suisse est vaste et diversifié, avec une myriade d’acteurs impliqués (promoteurs, architectes, ingénieurs, entreprises de construction, etc.). Pour assurer une adoption généralisée des pratiques circulaires, il est essentiel de renforcer la formation des acteurs du secteur, d’améliorer la coordination entre les différents intervenants et de promouvoir des normes unifiées à l’échelle nationale.

Conclusion

La transition vers une économie circulaire dans le secteur de la construction suisse représente une opportunité majeure pour réduire l’empreinte écologique du pays tout en optimisant l’utilisation des ressources. Bien que des progrès significatifs aient déjà été réalisés, notamment en matière de recyclage et de gestion des déchets, il reste encore de nombreux défis à relever pour une adoption complète de ces pratiques à grande échelle. En misant sur des stratégies comme la déconstruction sélective, la construction réversible et l’utilisation de matériaux bas-carbone, la Suisse peut non seulement améliorer son efficacité environnementale, mais aussi repenser la manière dont elle conçoit et gère ses infrastructures. Pour cela, un effort collectif entre les acteurs du secteur, soutenu par des politiques incitatives et des cadres réglementaires robustes, sera indispensable pour faire de l’économie circulaire la norme et non plus l’exception.

Références